Pourquoi l’insertion de personnes exilées dans l’agriculture se solde souvent par un échec 

Découverte de l'arboriculture en Côte d'Or
 

Contrairement au Réseau Cocagne ou aux structures de l’Insertion par l’Activité Economique (IAE), Vergers du Monde n’a pas vocation à faire de l’insertion professionnelle. Mais il faut parfois un temps long pour permettre aux agriculteurs locaux et exilés d’exprimer et de partager leurs savoirs. Un CDD ou un CDI peut alors sembler opportun, en répondant par la même occasion aux besoins de recrutement des uns et aux nécessités financières des autres. Sauf que, l’équation n’est pas aussi simple. Retour sur le cas de Stéphane et de Kakajan.

 

L’agriculture recrute, mais avec difficulté. Selon l'enquête annuelle de l'Ifop sur l'emploi agricole pour la FNSEA, la proportion d'exploitants-employeurs signalant des difficultés pour recruter des salariés en contrat à CDD a presque doublé entre 2013 et 2023 (source). Les acteurs de l’accompagnement socio-professionnel ont bien conscience qu’en parallèle, un nombre important de personnes exilées dispose non seulement de compétences, mais aussi d’une volonté et d’une force de travail sans égal pour exercer ces métiers difficiles.

 

Lorsque nous faisons la connaissance de Kakajan, agriculteur afghan, il recherche un emploi et souhaite participer à une visite de ferme.

Arboriculteur au Verger des Familles à Santenay en Côte d’Or, Stéphane nous ouvre les portes de son exploitation avec enthousiasme et pédagogie. Le courant passe très bien. Kakajan et Stéphane échangent sur les variétés de pommes et de poires cultivées sur place, ainsi que sur les grenades et les oranges d'Afghanistan. Lors de leur visite du verger, les questions fusent : comment s'effectue la taille des arbres? Pratiquez-vous des greffes et si oui, de quelle manière? Chez nous, nous avons une grande expérience en matière de greffe! Quelle hauteur atteindront ces arbres? Et à quoi servent les fils que l'on aperçoit ici?

 

Au terme de la visite, Stéphane propose un CDD à Kakajan. Du côté de Vergers du Monde, après plus d’un an de tentatives infructueuses, nous sommes ravis. Et Kakajan, motivé, travaillera neuf mois aux côtés de Stéphane! Il faut dire qu’avant d’être arboriculteur, Stéphane était éducateur, ce qui lui confère une bonne compréhension des enjeux migratoires. Des difficultés de mobilité à l’apprentissage du français, Stéphane apporte un soutien bien au-delà d’une simple offre d’emploi, proposant même parfois repas et hébergement à Kakajan qui, de son côté, ne manque pas de faire découvrir les mets afghans. Malgré quelques petits couacs occasionnels liés à la langue, dans l’ensemble, les deux hommes sont satisfaits de cette rencontre professionnelle, culturelle et surtout humaine.

 
Insertion professionnelle dans l'agriculture

Et puis, un matin, le couperet tombe. Kakajan souhaite interrompre son contrat (devenu entre temps CDI). C’est un peu l’incompréhension pour Stéphane comme pour Vergers du Monde, car l’entente générale est bonne et aucun signe ne laissait présager cette annonce soudaine. Kakajan nous donne plusieurs explications, qui font écho aux précédentes tentatives d’embauche avortées que nous avons pu expérimenter.

 

 

Le top 4 des raisons de cet échec :

  1. La mobilité : la Verger de Stéphane était loin d’une grande ville. Même si nous avons fait le maximum pour alléger cette pénibilité (appui au permis de conduire, covoiturage, train, etc), sur le long terme et pendant l’hiver, ça a fini par devenir usant pour Kakajan.

  2. La langue : Kakajan était très enclin à apprendre le français et parlait avec une grande fluidité. Malgré ça, l’isolement géographique propre aux zones rurales, mêlé à un isolement culturel dans lequel on ne parle jamais sa langue maternelle, génère un effort permanent. Au bout de quelques mois, c’était également devenu une source de fatigue supplémentaire, en plus du travail quotidien sur l’exploitation.

  3. Des rémunérations moins élevées que dans d’autres secteurs en tension en ville : lorsque vous combinez les raisons 1 et 2, les offres d’emploi en villes semblent alors moins compliquées en terme d’organisation. Avec les transports en commun, il est parfois possible de cumuler plusieurs emplois en même temps, dans le bâtiment, la restauration ou les métiers de la livraison et de la logistique des nouvelles plateformes Uber et Amazon.

  4. L’alignement personnel et professionnel : c’est une erreur que de vouloir projeter nos propres perceptions du monde du travail sur autrui. En Occident, face à une situation économique et écologique catastrophique, les nouvelles générations cherchent un sens à leur activité quotidienne. Or, beaucoup de personnes exilées ayant fui la guerre ou la misère n’ont pas nécessairement ce même rapport au travail, qu’elles considèrent avant tout comme une solution économique à leur situation. Ainsi, c'est souvent le critère financier qui finit par l'emporter, au détriment de l’agriculture.

 

En savoir plus sur le Verger des Familles.

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