Créer un jardin coréen : entre paysage symbolique, spiritualité et sobriété
Dans le paysage souvent codifié des jardins d’inspiration asiatique, le jardin coréen occupe une place discrète mais singulière. Moins connu que ses homologues japonais ou chinois, il s’en distingue pourtant par sa sobriété, sa volonté de non-domination sur le vivant, et son ancrage spirituel profond. En Corée, le jardin n’est ni un décor ni une composition savante, mais une invitation à vivre avec le rythme du monde, à s’y insérer avec humilité.
Les principes fondamentaux du jardin coréen
Trois piliers guident l’esthétique du jardin coréen traditionnel :
Harmonie avec la nature : le jardin ne cherche pas à corriger ou ordonner la nature, mais à s’y fondre. L’agencement des éléments vise une continuité subtile entre l’espace habité et le paysage.
Symbolisme spirituel : les jardins coréens sont imprégnés de confucianisme, de bouddhisme et de chamanisme. Ils sont conçus comme des lieux de retraite intérieure, de méditation ou de rituels.
Simplicité élégante : contrairement aux compositions très structurées des jardins chinois, ou à la stylisation esthétique des jardins japonais, le jardin coréen valorise la discrétion et la fonctionnalité.
Quels éléments essentiels faut-il intégrer?
1. L’eau : le mouvement et la pureté
Étangs (pangji) : souvent rectangulaires, placés au centre du jardin, ils symbolisent le ciel et l’équilibre cosmique.
Ruisseaux : leur présence, lorsqu’elle est possible, renvoie à la purification spirituelle et aux flux vitaux.
Ponts (geungnakgyo) : en pierre ou en bois, ils marquent la transition entre deux mondes – séculier et sacré.
2. Les pierres et rochers : présence des montagnes sacrées
Placés de manière asymétrique, ils renvoient aux montagnes, lieux de retraites et d’énergies spirituelles. Les pierres plates servent quant à elles le plus souvent de chemin, pour encourager une marche lente et méditative.
3. Les pavillons (jukujeong)
Petites structures ouvertes en bois, hexagonales ou octogonales, souvent recouvertes de tuiles traditionnelles (giwa), elles accueillent la contemplation, la lecture ou la musique.
4. Les totems (jangseung)
Sculptés dans le bois, ils sont placés à l’entrée du jardin pour en éloigner les mauvais esprits. Visages grimaçants, inscriptions protectrices : ils relèvent à la fois de l’art populaire et du rite.
6. Les murs ondulés
Inspirés du dos du dragon, symbole protecteur dans la culture coréenne, ils servent à délimiter l’espace sans rompre la fluidité du paysage.
Quelle est la végétation typique et comment l’adapter localement?
Parmi les arbres :
Pinus koraiensis (pin coréen) : symbole de constance et de longévité.
Ginkgo biloba : arbre sacré planté souvent près des temples.
Érables (acer) : pour leurs couleurs automnales marquantes.
Et pour les fleurs et autres plantes :
Chrysanthèmes : liés à la noblesse et à la durée de vie.
Lotus : symbole majeur de pureté spirituelle, planté dans les étangs.
Bambous : associés à la résilience et à l’intégrité.
Changpo (iris d’eau) : plante médicinale utilisée lors du festival Dano pour ses vertus purifiantes.
Dans un contexte occidental, ces essences peuvent être partiellement adaptées avec des variétés locales non invasives, tout en conservant la logique symbolique et la composition d’ensemble.
Comment organiser l’espace?
Les jardins coréens traditionnels s’inscrivent souvent dans des reliefs naturels ou construits en gradins. Cette structuration en terrasses évoque les paysages montagneux de la péninsule coréenne, où les sommets sont perçus comme des espaces sacrés, habités par les esprits, et propices à la méditation. Dans les traditions chamanique, bouddhiste et confucéenne, les hauteurs symbolisent l’élévation spirituelle et la mise à distance du monde profane. Ces gradins permettent aussi une organisation hiérarchisée du jardin : un pavillon placé sur une terrasse supérieure, un étang ou un espace de thé en contrebas, et des circulations pensées pour varier les points de vue.
Certaines zones sont dédiées à des usages rituels ou méditatifs. On y trouve des espaces réservés à la cérémonie du thé (darye), conçue comme un rituel d’harmonie intérieure, ou des coins discrets où sont placées des stèles ou petits autels pour honorer les ancêtres. Ce lien avec la mémoire familiale s’inscrit dans la longue tradition du culte ancestral, central dans la culture coréenne. D’autres parties du jardin peuvent accueillir des bancs de pierre, ou des zones propices à la lecture ou à la contemplation.
Les chemins, enfin, ne sont jamais tracés en ligne droite. Dans la pensée coréenne, la ligne droite est considérée comme agressive et trop rapide. Le cheminement sinueux, au contraire, invite à ralentir, à observer, à laisser la nature apparaître progressivement. Ce principe traduit une esthétique du détour et de la non-intervention, où le regard est constamment amené à se renouveler.
Respect des équilibres écologiques
Créer un jardin coréen en dehors de la Corée suppose une adaptation respectueuse, tant sur le plan environnemental que symbolique. Il ne s’agit pas de reproduire un modèle à l’identique, mais de s’inspirer de ses principes pour composer avec un autre territoire. Les matériaux utilisés pour les structures (pavillons, ponts, murets) peuvent être issus de ressources locales — bois, pierres, tuiles — afin de limiter l’empreinte carbone et de préserver la cohérence paysagère. De même, la sélection des espèces végétales doit prendre en compte le climat et la biodiversité environnante : si certaines essences coréennes peuvent s’adapter, d’autres doivent être remplacées par des variétés symboliquement proches, mais écologiquement compatibles. Enfin, des pratiques douces sont encouragées : collecte et réutilisation de l’eau de pluie, création de zones ombragées naturelles, sol vivant, paillage, et renoncement aux produits phytosanitaires. Ainsi, l’esprit du jardin coréen peut se déployer dans un autre contexte sans porter atteinte à l’écosystème local.
Pour aller plus loin
Jin Young Choi, Korean Gardens: Tradition, Symbolism and Resilience, Seoul Selection, 2010
Sim Woo-kyung (심우경), 한국의 정원 (Korean Traditional Gardens), 2006
Korea National Arboretum & Cultural Heritage Administration, Traditional Gardens of Korea, 2008
La Revue de l’Institut Confucius, n°14 – Dossier sur les jardins d’Asie