Aux confins d’une transformation sociale et agricole, la culture du café en Papouasie-Nouvelle-Guinée

 

Située au nord de l’Australie, la Papouasie-Nouvelle-Guinée s’impose comme l’un des territoires les plus singuliers de la planète : un archipel de montagnes, de forêts et de vallées où coexistent plus de huit cents langues et autant de visions du monde. Colonisée d’abord par l’Allemagne à partir de 1884, puis administrée par l’Australie jusqu’en 1975, elle a vu ses paysages — humains comme végétaux — se métamorphoser au contact des impératifs de l’économie coloniale. Parmi les cultures introduites, un petit grain brun allait bouleverser durablement les équilibres anciens : le café.

 

Un héritage colonial enraciné dans les Hautes-Terres

L’histoire du café en Papouasie-Nouvelle-Guinée débute dans les années 1920, lorsque les colons allemands puis australiens implantent les premiers plants d’arabica dans les Hautes-Terres centrales, à Goroka et Mount Hagen. Les conditions y sont idéales : sols volcaniques riches, brouillards réguliers, températures modérées. Très vite, le café devient une culture d’exportation stratégique, promise à un destin mondial.


Mais derrière la réussite agronomique se cache une organisation profondément inégalitaire : les terres sont réquisitionnées, les Papous transformés en main-d’œuvre contrainte, et la logique du don cède la place à celle du rendement. Le café n’est pas seulement un produit : il est le vecteur d’une intégration forcée à l’économie capitaliste globale, un basculement d’un monde fondé sur la réciprocité vers un monde fondé sur la transaction.

© Photo : Joe Leahy, dans sa plantation de café de Kilima. Bob Connolly & Robin Anderson

 

Reconfigurations sociales et nouvelles hiérarchies

Dans les sociétés de montagne, où les échanges coutumiers et la circulation des porcs, des ignames et des alliances matrimoniales rythmaient la vie sociale, l’introduction du café a redéfini les places et les rôles.


La culture du café, monétarisée et tournée vers l’extérieur, a peu à peu échappé aux logiques collectives : elle s’est masculinisée, individualisée, inscrite dans des circuits marchands.

Les femmes, gardiennes des jardins vivriers, ont souvent été marginalisées de cette économie nouvelle. Parallèlement, une élite rurale a émergé — les coffee men, figures de prestige local investissant dans la scolarisation des enfants, l’achat de véhicules ou la politique communautaire.
Ainsi, à travers un simple arbuste, c’est toute une stratification sociale inédite qui s’est dessinée au cœur du monde papou.

 

Les paradoxes d’une modernité enracinée

Aujourd’hui, le café demeure la principale culture de rente du pays, mobilisant plus de 400 000 petits producteurs. Mais l’économie reste fragile : les fluctuations du marché mondial, le coût du transport, l’isolement géographique maintiennent de nombreux cultivateurs dans la précarité.
Pourtant, le café papou, souvent biologique et cultivé en agroforesterie, jouit d’une réputation d’excellence auprès des torréfacteurs internationaux. Il incarne cette tension constante entre économie globale et culture locale, entre dépendance marchande et savoir-faire vernaculaire.

Dans plusieurs vallées, des initiatives communautaires cherchent désormais à renouer avec une approche plus équilibrée : revaloriser les pratiques agroécologiques, intégrer les femmes aux circuits décisionnels, et inscrire la culture du café dans un cadre de durabilité sociale et environnementale.

 

Regards anthropologiques

Pour comprendre le café en Papouasie-Nouvelle-Guinée, il faut dépasser la plante et observer le réseau d’histoires qu’elle tisse.

Dans les jardins où cohabitent encore bananiers, taros et caféiers, se joue un dialogue discret entre deux temporalités : celle, lente et cyclique, de la subsistance, et celle, rapide et incertaine, du marché.


Comme l’ont montré Stewart et Strathern, les Papous ne cessent de réinterpréter les apports exogènes — transformant la contrainte en adaptation, et la dépendance en stratégie d’autonomie. Le café, en ce sens, n’est ni une simple culture d’exportation ni un produit de colonisation : il est devenu un miroir des mutations sociales, un champ de tensions où se rencontrent la mémoire des ancêtres et la modernité mondialisée.

 

Pour aller plus loin :

  • Stewart & Strathern, Subsistence Agriculture in Papua New Guinea

  • Revue Française de Socio-économie, 2012

  • Journal d’agriculture traditionnelle et de botanique appliquée, Persée, 1999

 
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