L’aubergine perdue

 

Ce mois-ci, Charlotte, notre salariée-doctorante, a poursuivi ses dernières visites de terrain avant d’entamer une étape cruciale : la rédaction de sa thèse. Pour cette nouvelle immersion, elle s’est rendue dans le sud de la France, au sein d’une ferme accueillant des personnes migrantes issues de parcours variés. Là, elle a pu observer une étonnante circulation des savoirs autour des variétés cultivées, entrecroisant expériences agricoles, mémoires personnelles et traditions venues d’ailleurs.

 

Quand l’agriculture devient un pont entre les cultures.

Accueillir des personnes migrantes dans les fermes, c’est bien plus qu’un acte d’entraide. C’est également un espace de transmission de savoirs, un espace où les cultures se croisent.

 

Dans le sud de la France, une ferme associative a décidé d’ouvrir ses champs, chaque semaine, à des personnes en exil. Elles viennent y passer une journée en plein air, les mains dans la terre. Parmi elles, des personnes venues du Soudan, qui ont peu à peu partagé leurs connaissances agricoles.

Au fil des rencontres, ces travailleurs ont proposé de cultiver des légumes issus de leurs habitudes alimentaires, souvent difficiles à trouver ici : piment, gombo, cacahuète…C’est ainsi que le collectif s’est mis à ces différentes cultures.

 

La culture de la cacahuète, par exemple, a demandé d’apprendre de nouvelles techniques. Au Soudan, on la plante dans le sable. La plante produit des fleurs qui retombent vers le sol, et ce sont ces fleurs enfouies qui donnent naissance aux cacahuètes. En France, la terre étant plus compacte, les fleurs ont plus de mal à s’y enfoncer. Pourtant, grâce à l’attention collective, les plants ont fini par donner des fruits.

 

Pour celles et ceux qui ont dû quitter leur pays, retrouver des gestes familiers, travailler la terre comme « à la maison » et goûter de nouveau aux aliments de leur enfance, c’est une façon de se reconnecter à soi-même. Mais certaines plantes restent introuvables en France.

C’est notamment le cas de l’aubergine soudanaise, aux formes et aux saveurs bien différentes de celles que l’on trouve sur les étals français. Cette difficulté à retrouver l’aubergine soudanaise n’est pas seulement liée à l’éloignement géographique : elle témoigne aussi de la perte de biodiversité cultivée. En raison de la mainmise de l’industrie agrosemencière sur les semences, de nombreuses variétés disparaissent peu à peu de nos champs et de nos assiettes.

 

Les rencontres à la ferme ne sont donc pas seulement des moments de solidarité. Elles sont aussi l’occasion de réfléchir à des luttes partagées : pour la préservation de la biodiversité, pour une agriculture locale, diversifiée, respectueuse des sols et des savoirs. C’est apprendre des autres, à mesure que le climat se réchauffe. C’est cultiver des liens autant que des légumes.

 
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