Éleveurs peuls et conflits territoriaux

 

Dans les plaines et savanes du Sahel, on reconnaît de loin les troupeaux qui avancent lentement, guidés par des bergers en longues tuniques. Ce sont les Peuls, ou Fulani, l’un des plus grands groupes pastoraux d’Afrique, présents du Sénégal au Soudan. Leur histoire est intimement liée à la mobilité : aller chercher l’herbe et l’eau là où elles se trouvent, en fonction des saisons. Mais depuis quelques décennies, ce mode de vie est de plus en plus mis à l’épreuve. La variabilité climatique, marquée par des sécheresses prolongées et des pluies imprévisibles, fragilise les équilibres anciens. À cela s’ajoutent des dynamiques politiques, foncières et sécuritaires qui transforment les tensions en conflits violents.

 

Le climat comme facteur de pression

Les chercheurs s’accordent sur un point : le changement climatique n’est pas la cause unique des violences, mais il joue un rôle de “multiplicateur de menaces”. Dans les zones sahéliennes, la baisse de la pluviométrie et la dégradation des pâturages obligent les éleveurs à descendre plus au sud, vers des terres agricoles déjà occupées. Ces déplacements créent des frictions avec les agriculteurs, dont les champs sont parfois traversés ou détruits par des troupeaux. Dans des contextes où la démographie rurale explose, la compétition pour l’accès aux terres et à l’eau devient chaque année plus tendue. Ce qui était autrefois géré par des accords coutumiers ou des arrangements de transhumance devient aujourd’hui une source d’affrontements récurrents.

 

Quand les tensions se transforment en conflits armés

Il serait réducteur de présenter ces violences comme une simple opposition entre deux groupes. En réalité, les Peuls sont eux-mêmes divisés, entre pasteurs sédentarisés et transhumants, entre élites urbaines et communautés rurales. Les agriculteurs ne sont pas toujours uniquement victimes : certains groupes armés agricoles organisent eux aussi des attaques. Les alliances varient selon les contextes, brouillant les lignes entre identités ethniques, politiques et économiques. Le climat agit donc comme une couche supplémentaire de vulnérabilité, mais ce sont bien les rapports de pouvoir, la militarisation et la fragilité des institutions qui expliquent la bascule vers la violence.

 

Des pistes de solutions

Face à cette situation, plusieurs initiatives locales et internationales tentent de répondre aux tensions. Dans certaines zones, les médiations coutumières reprennent leur place pour rétablir les négociations entre chefs de villages et de campements. La sécurisation des couloirs de transhumance est également une piste, afin de marquer et protéger les routes de passage du bétail pour éviter les intrusions dans les champs. Des accords locaux de partage de ressources cherchent à mettre en place des calendriers concertés d’accès aux points d’eau. Plus largement, il s’agit de reconnaître la mobilité pastorale non comme un archaïsme, mais comme une stratégie adaptative moderne face à la variabilité climatique. Certaines ONG accompagnent aussi ces efforts en renforçant les services vétérinaires, en introduisant des cultures fourragères ou en développant des systèmes d’alerte pour anticiper les déplacements.

 

Une leçon pour l’anthropologie de l’agriculture

L’histoire des Peuls rappelle une évidence souvent oubliée : l’agriculture n’est pas seulement une question de techniques, c’est une organisation sociale. Les conflits autour de la terre et de l’eau ne se comprennent qu’en tenant compte de la mémoire des peuples, de leurs droits coutumiers et de leur rapport au territoire. Dans un monde où le climat devient de plus en plus incertain, les sociétés qui reconnaissent et intègrent cette mobilité auront une longueur d’avance. Refuser la place des éleveurs, c’est fragiliser l’ensemble du système agropastoral sahélien.

 

📚 Pour aller plus loin

  • Benjaminsen, T. & Ba, B. (2019). Why do pastoralists in Mali join jihadist groups? Review of African Political Economy.

  • Turner, M. (2021). The Violence of Climate Change Narratives in the Sahel. Human Geography.

  • International Crisis Group (2020). Stopping Nigeria’s Spiralling Farmer-Herder Violence.

 
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