Les savoirs glaciaires du Gilgit-Baltistan : semer l’eau dans un monde qui se réchauffe
À 2 600 mètres d’altitude, les vergers attendent l’eau comme on attend un miracle. Dans le nord du Pakistan, au pied du K2, les habitants du Gilgit-Baltistan vivent au cœur d’un paradoxe : cernés par des géants de glace, ils manquent d’eau. Les glaciers sont là, mais loin, perchés. Et la neige, autrefois généreuse, se fait rare. Avec le changement climatique, les semailles ne peuvent plus attendre les dégels tardifs de l’été. C’est dans ce contexte que des communautés rurales, agriculteurs et bergers réunis, ont imaginé une solution aussi simple qu’inspirante : fabriquer eux-mêmes des glaciers. Non pas en laboratoire, mais à la force des bras, avec des tuyaux, la pente, et le froid.
Des glaciers faits main
Ces “stupas de glace”, comme on les appelle, sont de grandes colonnes gelées, érigées pendant l’hiver. L’eau est captée quand elle est encore disponible, puis acheminée par gravité dans des tuyaux, jusqu’à une sortie placée en hauteur. À l’air libre, elle gèle en tombant, formant peu à peu une tour de glace. Une fois l’hiver passé, ce cône fond lentement, relâchant l’eau précisément au moment où la terre en a besoin : à la fin du printemps, quand il faut irriguer les jeunes pousses de blé, d’orge ou d’abricotier.
Ce savoir ne vient pas des laboratoires climatiques, mais d’une circulation d’idées entre montagnes. Les paysans de la vallée de Skardu disent avoir découvert cette technique sur YouTube, en regardant les vidéos de Sonam Wangchuk, un ingénieur du Ladakh indien. Depuis, les connaissances ont circulé entre villages. Plus de vingt communautés fabriquent aujourd’hui leurs glaciers saisonniers. En 2025, dans le seul village de Hussain Abad, huit stupas ont été construits, équivalents à 20 millions de litres d’eau.
Une réponse paysanne aux bouleversements climatiques
Ce geste, faire naître de la glace pour faire pousser du blé, pourrait sembler absurde ailleurs. Ici, il est vital. C’est une forme d’irrigation lente, de stockage vivant. Il n’y a ni béton, ni barrage, ni pompe motorisée. Seulement une adaptation fine aux rythmes de la montagne. Dans une région où 80 % du territoire est aride ou semi-aride, et où les fleuves prennent souvent leur source dans les pays voisins, chaque goutte compte.
Les effets sont visibles : non seulement les vergers survivent, mais une deuxième, parfois une troisième saison agricole devient possible. Avant, on semait en mai, quand les glaciers commençaient tout juste à fondre. Aujourd’hui, grâce à l’eau libérée plus tôt, on plante dès avril, et on récolte plusieurs fois.
Des savoirs enracinés, une résilience silencieuse
Les glaciers artificiels ne sont pas une solution miracle. Les scientifiques rappellent que la température au Pakistan grimpe deux fois plus vite que la moyenne mondiale. Même les bancs de glace du Karakoram, autrefois stables, fondent lentement. Mais ces stupas sont une réponse enracinée, locale, communautaire. Une manière de reprendre prise, là où l’eau se dérobe et où les anciens repères vacillent.
Les “savoirs glaciaires” du Gilgit-Baltistan ne sont pas figés. Ils se transmettent entre vallées, se réinventent à chaque saison, selon la pente, le vent, les outils disponibles. Ce sont des connaissances sensibles, forgées par l’observation, le dialogue, et l’urgence de survivre sans abîmer davantage un écosystème déjà fragile.
Dans ce coin reculé du monde, les habitants n’ont pas attendu qu’on vienne les sauver. Ils ont agi. Avec du givre et de la patience, ils sèment l’eau pour faire pousser des cultures.
Pour aller plus loin :
Projet GLOF-2 (Pakistan x ONU) sur les risques glaciaires et la résilience hydrique
Travaux de Sonam Wangchuk sur les ice stupas au Ladakh (Inde)
ICIMOD – Himalayan Adaptation Programme
Reportage AFP – Manzoor Balti (mars 2025)