Cultiver sur le sable : les systèmes ramli de Ghar El Melh
Dans la lagune de Ghar El Melh, au nord-est de la Tunisie, des champs verdissent là où l’on ne s’attendrait qu’à du sable salé. Ici, depuis le XVIIᵉ siècle, des paysans cultivent au cœur d’un écosystème fragile, dans des parcelles appelées ramli, littéralement “sur le sable”. Ce système agricole unique, né de la contrainte, repose sur une connaissance fine des mouvements de l’eau, des sols et du climat côtier.
Les champs ramli reposent sur un équilibre délicat entre l’eau douce des pluies et le sel omniprésent. Ici, depuis le XVIIᵉ siècle, des communautés paysannes cultivent grâce à une technique ingénieuse : l’irrigation naturelle par la marée. L’eau douce, plus légère que l’eau salée, forme une lentille fragile juste sous la surface. Deux fois par jour, elle monte et descend au rythme des marées. Les plantes s’en nourrissent sans pompage, sans mécanisation, à travers ce lent mouvement respiratoire entre terre et mer. Ce système fonctionne uniquement parce que les agriculteurs en ajustent chaque paramètre avec précision : en ajoutant du sable et du fumier pour maintenir le bon niveau du sol, en construisant des haies fruitières, des drains, des barrières de roseaux pour créer un microclimat propice à la culture.
Un système unique entre terre et mer
Ce système agricole n’a rien de figé. Né de l’ingéniosité de réfugiés andalous venus s’installer à Ghar El Melh au XVIIᵉ siècle, il a été transmis et adapté de génération en génération. Aujourd’hui, plus de 300 agriculteurs perpétuent ce savoir sur environ 200 hectares. Les parcelles, presque toutes inférieures à 5 hectares, sont cultivées en famille, selon un mode de production profondément ancré dans l’observation des cycles naturels. En 2020, les ramli ont été reconnus par la FAO comme système du patrimoine agricole mondial (GIAHS). On y cultive des pommes de terre, des oignons, des haricots, parfois des poivrons, des courges ou des melons, des cultures adaptées au sol sableux et à l’irrigation douce. Les semences sont locales, sélectionnées et échangées au fil des saisons. Les produits issus de ces champs sont vendus sur les marchés de la région, notamment à Tunis, et appréciés pour leur goût, qui porte la trace du climat côtier et du soin accordé à chaque geste.
Fragilités d’un équilibre subtil
Mais ce savoir-faire agricole est aujourd’hui en sursis. Le changement climatique menace la stabilité du système : la montée du niveau de la mer, la perturbation du cycle des marées ou la disparition de la lentille d’eau douce pourraient rendre ces cultures impossibles dans les décennies à venir. D’autres pressions s’ajoutent : l’urbanisation croissante, la rareté du sable cultivable, l’absence de reconnaissance juridique ou de certification pour les produits ramli, et une perte progressive des pratiques traditionnelles. Si rien n’est fait pour soutenir ce modèle, c’est toute une mémoire agraire qui risque de disparaître. Préserver les ramli, ce n’est pas seulement protéger une agriculture. C’est défendre un rapport au sol, à l’eau et au climat profondément enraciné, où chaque geste compte, et où la durabilité se construit dans l’humilité du quotidien.
📚 Pour aller plus loin
FAO. Sowing seeds in Tunisian sands. fao.org
FAO GIAHS. Ramli agricultural system in the lagoons of Ghar El Melh. fao.org/giahs
Phys.org. Tunisia 'sandy' farms resist drought, development. phys.org
Africa Renewal. Tunisia’s unique farming systems win recognition. africarenewal.un.org